Chez les Burnside, on a plutôt tendance à jouer le blues à l’économie et prendre plaisir à suer. RL, le grand-père, est un héros du Hill Country Blues. Cedric, le petit-fils, continue le job, entre nouveautés et vieilles obsessions. Il était de passage à Dijon, à la Vapeur.

Ici, on s’y connait en vins, en saucisses et en fromages mais très très peu en Hill Country Blues. Tu nous aides ?

S’il ne fallait retenir qu’une chose sur le Hill Country Blues, c’est son rythme qui n’est pas orthodoxe. Il a une rythmique tout à fait unique. La plupart des autres styles de blues s’appuient sur le fameux 1/4/5 (progression d’accords, une fondamentale puis un accord à la quarte puis un à la quinte, le tout en 12 mesures, ndlr). Mais le Hill Country ne s’occupe vraiment de cela. Mon grand-père disait sans arrêt : «  Tu dois sentir cette musique pour la jouer, fais ce que ton cœur te dicte de faire ».

Tu penses que les frenchies sont capables de faire la différence avec les styles de blues ?

Oh… Certains d’entre vous peut-être mais tu sais, aux States, il y a plein de monde incapable de la faire aussi.

Vraiment ?

C’est un peu mieux depuis 10 ou 15 ans. Les gens connaissent bien sûr le Delta blues, le Chicago blues ou encore le Texas blues.

D’où vient cette particularité du Hill Country, cette ligne rythmique unique, toujours un peu hypnotique ?

De notre héritage africain, assurément. Le blues vient des esclaves, qui devaient faire ce qu’ils pouvaient pour ne pas être battus ou traités salement. Quand ils étaient dehors à ramasser le coton, il leur était interdit de parler, alors ils chantaient. Du blues, des spirituals. J’ai lu, il y a quelques temps, une interview de Mavis Staples où elle parlait des origines et des liens entre les sentiments profond du gospel et le Blues. Je ne pourrais pas mieux faire.

Robert Johnson, Lightnin’ Hopkins et même ton grand-père. Quand on fait du blues aujourd’hui, ce sont des inspirations à suivre ou des modèles à tirer comme des poids morts ?

Bonne question. Ces types ont joué ce qu’ils devaient jouer à cause de ce qu’ils ont vécu. Mon grand-père, par exemple, a vu deux de ses frères et son oncle être tuée à Chicago, la même année. Puis il a vécu des choses avec sa femme, avec ses amis. Je ne dirais pas que mes fardeaux viennent de ces musiciens-là. J’ai ma part venue du passé, de ma conduite. Pour le reste, je serai toujours reconnaissant pour les portes qu’ils m’ont ouvertes.

Si le blues est une chose si ancienne, y a-t-il encore des choses à découvrir ? Par exemple sur ton dernier album, les titres de tes morceaux utilisent tous de vieilles formules comme Please Tell Me Baby, I’m Hurtin’, Don’t Leave Me Girl. Vieilles formules, vieux sentiments ?

Le monde a changé, tu es confronté à des choses très différentes et la musique change aussi. Ce que tu as à dire également. Il y a donc de nouvelles choses découvertes à chaque nouveau morceau écrit. Après, ces nouvelles choses sont aussi mues par des sentiments venus du passé. Ceux-ci n’ont pas vraiment changé.

Le blues, c’est quoi alors ? Une musique ? Un état d’esprit ? Un sentiment ?

Je pense qu’en fait, le blues est avant tout une musique populaire. Aujourd’hui, tout le monde peut avoir le blues, non ? Tu descends une avenue, il fait très chaud et le soleil te tape sur la tête, c’est le blues. Tu conduis une voiture, tu crèves, ou alors tu es pris dans une bagarre, ça aussi ça peut être le blues. Tout part d’une situation qui te pousse dans une émotion différente.

Peux-tu trouver ce genre de sentiment dans d’autres musiques que tu écoutes ?

On en revient à l’Afrique. Il y a 4 ou 5 ans, un très bon ami gambien m’a initié à la musique d’Ali Farka Touré. Je l’ai beaucoup écoutée et, même si je ne comprends pas un mot de ce qu’il raconte, je sens qu’il parle d’une chose puissante. Unique et peut-être même un peu flippante. Je peux te dire qu’il y a du blues dans cette musique.

Revenons à ton dernier album, Benton County Relic. C’est quoi cette relique ?

Il y a des gens qui pensent que je parle de mon âge mais je ne suis pas encore une relique. Tu sais, je que pense que la musique te ramène toujours un peu en arrière. Ceux, à qui j’ai fait écouter l’album avant sa sortie, me disaient qu’il les ramenaient dans les années 60 ou 70. J’ai un peu réfléchi à cela et le mot ‘relic’ est venu. C’est ma musique, cette relique.

Sur Call On Me, tu as une voix très puissante posée sur un son de guitare très clair, proche du Didley beat, très sixties.

Oh merci ! C’est une chanson pour mes trois filles. Je voyage beaucoup et je leur ai écrit pour leur dire qu’elles peuvent toujours m’appeler où que je sois.

J’ai découvert ton son comme beaucoup en écoutant les albums de ton grand-père. Pour moi, c’était sur Mr Wizard enregistré en 94 et 96. À cette époque, tu avais 17 ans et les jeunes afro-américains venaient de poser les fondations du second mouvement hip hop. Pourquoi jouer du blues ?

C’est encore cette histoire de famille. Mon grand-père jouait tellement de blues, Fred McDowell passait souvent à la maison, les disques d’Howlin’ Wolf jouaient tout le temps. Cette musique s’est tracée une voie jusqu’à moi. J’en suis tombé fou amoureux.

Mais ta batterie sonnait hip-hop.

Je n’ai jamais voulu n’être qu’un accompagnateur de mon grand-père, qu’un pousseur de soliste. J’ai déjà entendu ça, cette histoire de son à la hip hop. Je m’y suis essayé, souvent, teenager. Mais il y avait une histoire de feeling qui ne collait pas avec mes potes qui étaient dans cette culture. Je n’allais pas me battre pour une histoire de feeling. Big Daddy disait : « Blues is the roots of all music ». So…

We Made It qui ouvre ton album, c’est une déclaration politique, non ?

Oui.

Ça répond au Yes We Can d’Obama ?

Un peu. Tout ce qui est dans ce morceau est du vécu. J’ai grandi dans une maison sans eau courante, sans toilettes. J’ai dû expliquer à des gens cette année que ce mode de vie existe encore dans le Mississippi, aujourd’hui. Il y a encore des familles qui n’ont qu’un baquet et pas d’eau courante. J’ai écris cette chanson pour qu’elles puissent se dire, si elles l’écoutent, qu’il faut tenir bon et que les choses peuvent s’améliorer pour elles.

Le blues a souvent piraté le sens premier des mots pour faire passer ses messages, parfois politiques, on a parlé des esclaves, mais aussi parfois sexuels, comme Backdoor Man ou Baby Drive My Car. Tu utilises encore ce stratagème, toi, à l’époque du Free Speech ?

Bien sûr, au temps de l’esclavage quand on vous disait de la fermer, vous deviez la fermer. Si vous ne pouviez vous adressez aux autres qu’en chantant, vous utilisiez cette combine pour que les maitres de plantations ne pigent pas. Aujourd’hui, plus personnes n’a besoin de tenir sa langue à ce point. Certains s’en plaindront sans doute mais tu es libre.

Tu joues dans les bars mais aussi dans des festivals de jazz. Comment des mecs qui tripent sur des changements d’accords complexes peuvent s’émouvoir d’une ligne de basse ultra répétitive ?

Je ne sais pas. Un truc avec les émotions ou les histoires que je leur raconte… (rires) Kill two birds with one stone.

  • Badneighbour / photos : Le studio des songes
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