Plongée dans le neuvième art, avec nos coups de cœur du mois de novembre. Cinq BD à ne pas manquer et à lire peinard dans ton canap’ au coin du feu pendant que le froid s’installe derrière tes fenêtres.
Hors-Jeu, Mathieu Chiara, Ed. L’Agrume
Excellente bd. Pour essayer de résumer, c’est ce qui se passe pendant un match de foot, un peu avant et un peu après, pour un certain nombre de personnages donné : une pute, des clochards, un enfant, un chien, une petite famille, un capo, un leader de tribune et sa femme, et bien sûr des joueurs de foot.
Graphiquement, ça ressemble et ça s’inspire du travail de Ruppert et Mulot, les formes, les traits des visages très schématiques. Dessin sobre, à la limite de la pauvreté dans l’utilisation des moyens. C’est noir et blanc, crayonné, hachuré. Ce sont des corps en mouvement, les visages sont assez inexpressifs, le visage de chaque personnage n’évoluant pas en fonction des sentiments ou des situations. Un minimum de moyen pour un max d’efficacité. Alors, je le dit tout de suite, pour être bien clair, c’est un style : Mathieu Chiara sait dessiner, il le montre à certain moments. Cette simplicité formelle, encore une fois comme chez Ruppert et Mulot, est contrebalancée par la richesse des dialogues et l’humour…
Presque toute la bd est dessinée de trois-quart haut. Une vue plongeante comme la vue de la caméra centrale sur le terrain vert lors de retransmission d’un match mais reproduite sur la vie, c’est la norme du cadre du livre. Après vérification, ce cadre est régulièrement utilisé par Mathieu Chiara pour d’autres dessins, d’autres projets. Le découpage de la planche est assez variable, comme cette grosse bd se donne du temps et de la place (160 pages) ; parfois, Chiara nous offre une double page, parfois il y a 9 ou 20 cases sur une page…
Le discours de ce livre, assez intello dans son premier aspect visuel, ne tourne pas à la charge bêtement sanglante contre le foot. À vrai dire, je ne saurai pas dire si Chiara aime ou déteste le foot. Il n’aime pas le foot business, les codes dominants mais je l’imagine assez bien tapant le ballon le dimanche avec ses potes. La narration nous promène de personnages en personnages, effet BD chorale. Il y a éventuellement deux personnages centraux, un joueur de champ et un gardien de but, qui cherchent en dehors et sur le terrain des raisons d’y croire encore. Chaque tranche de vie offre une série de strips drôles qui peuvent se lire de manière isolée.
C’est un récit avec des problèmes moraux, métaphysiques et pataphysiques avec de moment poétiques. Si l’empreinte, l’empreint aux maîtres, aux références Ruppert et Mulot n’étaient pas aussi évidentes, on pourrait crier au génie. Là, c’est quand même très, très bon ; une BD hautement recommandable.
Un bruit étrange et beau, Zep, Ed. Rue de Sèvres
Une bd de plus pour le versant « adulte » de Zep, après des Happy Sex, Happy Rock ou Une Histoire d’hommes. Donc on oublie le gros nez et la houppette de Titeuf, là les personnages sont réalistes. C’est l’histoire d’un moine chartreux qui pour une raison d’héritage doit quitter son monastère 20 ans après y être rentré. Le scénario mélange quelques réflexions sur la vie intime et le rapport aux autres, y compris le rapport amoureux ou filial. La narration est assez rectiligne. Pas de grosses surprises dans l’avancée de l’histoire.
Ce qui retient l’attention, c’est le dessin. Zep maîtrise parfaitement bien le dessin des corps, et prend un plaisir tout particulier à dessiner les vieilles pierre de Paris, comme décor, et de jolies demoiselles légèrement dénudées. La couleur est belle, passant de bleus légers à des nuances de roses, ça fait que tout est léger dans le trait. Et pour accentuer ce sentiment, toutes les cases sont détourées. Une BD surtout belle à l’œil. Et finalement, pourquoi pas.
O.M.W.O.T., Prédateur de la terreur, Benjamin Marra, Ed. Requin Marteau
Bon là, on est dans le trash à l’américaine dans la grande largueur. Un livre par un grand garçon attardé qui n’a aucune limite, sans autocensure. L’histoire : pour répondre aux attaques du 11 septembre, le gouvernement américain a créé des robots, des machines de guerre toutes puissantes à forme humaine. Ces robots vivent leur vie aux milieu des autres humains. Rien ne les distingue du quidam. Lâchés au milieu de la population, ces Prédateurs de la Terreur sont aussi bien confrontés à des petits voleurs, qu’à la pègre ou à d’authentiques pirates de l’air. Ces androïdes explosent, découpent, trucident à tout va aussi facilement à main nues qu’avec des M16 ou des sabres.
Les années passant, ces hommes-robots, comme tout le monde, ont envie de fonder une famille, de voir grandir leur progéniture à l’ombre du drapeau étoilé, incarnation du monde libre. Ah, oui… ils savent se reproduire. Très bien même, car le robot que cette BD nous donne à suivre semble détenir un super-pouvoir : un mojo surdimensionné qui ne s’embarrasse pas du genre. C’est un monstre d’attirance sexuelle à voile et à vapeur, peu importe le danger, la situation ; si son gros sexe doit être sorti, il le sort !
Ce livre aussi gore que porn’ attirera tout(es) ceux(-elles) qui n’ont pas peur de s’offrir une régression mentale le temps de sa lecture. Régression aussi dans le style et la couleur. Benjamin Marra cite comme références des rois du dessin comics-Marvel des 70’s et des artistes underground américain alliant super-héros et messages politiques. Bien entendu, tout ce plaisir jouissif est une vaste farce sur l’Amérique (et l’Europe) sécuritaire. Un coup d’œil à son site finira d’enthousiasmer ceux qui perçoivent déjà à la lecture de ces quelques lignes la dimension nanar et série B de l’univers de ce dessinateur.
Fin de la Parenthèse, Joann Sfar, Ed. Rue de Sèvres
Hommage très personnel de Sfar à Salvador Dali. La dernière fois, que j’avais laissé Sfar avec un de ses maîtres de peinture, c’était Chagall. Le caractère boulimique de Sfar, sa production inflationniste, le poussent régulièrement, à dévoiler/annoncer tel maître en cinéma, écriture, peinture… Perso, et là encore, j’ai toujours trouvé que son trait était beaucoup plus proche de Picasso que de bien d’autres. Ça c’est juste pour vous donner à voir sa patte, son trait léger et instable dont il use dans ce livre. L’histoire n’a pas grande importance, on se carre un peu de la narration. La BD est un bon prétexte pour lui de passer trois jours enfermés avec quatre mannequins féminins à poil et de les dessiner, pour officiellement réveiller Dali qui serait cryogénisé à quelques numéros de l’appartement dans lequel ils se sont confinés.
Les couleurs sont chaudes ; belle palette de marrons, de roses, de rouge. Les traits sont fins, anguleux. Les corps, les jambes, les hanches, les fesses, les seins sont longs, rondelés, attirants, érotiques. Les filles rejouent plus ou moins des tableaux de Dali, La Girafe en feu, Christ de St Jean de la croix. En toile de fond, le 13 novembre qui se déroule pendant l’expérience, ce qui offre à Sfar l’occasion de réflexions socio-artistico-politiques sur l’esprit de Dali, sa puissance salvatrice. À la fin on ne comprend rien, ou pas grand-chose. Mais peu importe, on comprend que Sfar s’est fait un petit plaisir et on le remercie parce qu’il dessine parfaitement bien les demoiselles dénudées.
L’Arabe du Futur (3), Riad Sattouf, Allary Editions
Pas besoin de rajouter beaucoup de lignes au flot de louanges qui entoure, ce projet et ce numéro 3. On est d’accord, c’est très bien. Le seul truc à souligner est la différence dans le traitement de sa circoncision entre un livre publié en 2004 et ce bouquin. Voilà.
– Martial Ratel
Photos : DR