Maëlle Poésy, nouvelle sensation du théâtre contemporain, présentait au Théâtre Mansart Ceux qui errent ne se trompent pas, une fable utopiste et apolitique dont le cynisme prévient toute pertinence.
Ça y est. Le théâtre, bastion intello-guindé de la scène artistique, s’empare du phénomène Nuit Debout, de la question de l’état d’urgence et de nos politiques-enfants gâtés. Comment ne pas reconnaitre la satire de nos dirigeants actuels qui s’attachent à leurs privilèges dans cette pièce où les élites politiques s’accrochent au pouvoir comme des sangsues, par tous les moyens à leur disposition, dans une lutte de classes fratricide ?
« Le peuple nous vire ? »
Jour d’élection, deux phénomènes quasi-surnaturels : un taux d’abstention inférieur à 1% mais un plébiscite du vote blanc à plus de 80%. Une véritable « crise démocratique » pour l’élite politique en place qui s’insurge du fait que les électeurs ne savent pas voter. Adaptation visiblement actualisée de La Lucidité de l’auteur portugais José Saramago, récipiendaire du prix Nobel de littérature en 1998, Ceux qui errent ne se trompent pas s’égare parfois en chemin. Maëlle Poésy et Kevin Keiss, créateurs de cette pièce après avoir déjà collaborés sur Candide/Si c’est ça le meilleur des mondes, s’échinent à imaginer une réaction populaire fallacieuse pour éviter un scénario à la Huxley ou Orwell. On parle de « péril blanc » du côté du gouvernement, on décrète « l’état d’inquiétude » puis « l’état de siège » pour endiguer le mouvement blanc, cette fronde citoyenne pacifique pourtant loin de faire écho à Nuit Debout et ses multiples débordements. La réalité est brutale.
« Depuis que vous êtes partis, il a cessé de pleuvoir »
La métaphore de la tempête qui s’abat sur la capitale est usée jusqu’à la corde. Lorsque le gouvernement fuit face au grondement muet de la population, le soleil revient, plus brillant que jamais. Lorsque les politiques sont absents, le soleil rayonne ? Encore une fois, on n’est jamais loin d’un cliché anarchiste. Pas de relativisme ici : les dirigeants totalitaires sont les méchants et les électeurs feutrés sont les gentils. Les théâtreux s’imaginent tout renverser sans la moindre goutte de sang.
Néanmoins, si le fond apparaît trop peu sagace et que la pièce tourne en rond, la forme est chiadée. Le jeu des acteurs est parfois inégal mais juste dans l’ensemble ; on a affaire à quelques pointures. La mise en scène est le vrai point fort de cette pièce, véritable show son et lumière. La scéno est exceptionnellement classe et réussie, il pleut sur la scène du Théâtre Mansart qui se transforme finalement en mare. Maëlle Poésy reprend un concept déjà expérimenté avec Candide/Si c’est ça le meilleur des mondes, où la distribution varie au fil de la pièce et où les comédiens font évoluer le décor pendant la représentation. Top!
En fin de compte, Ceux qui errent ne se trompent pas erre plutôt pas mal et se trompe beaucoup. La pièce est longue, le propos utopiste et le ton pas toujours drôle lorsqu’il essaie de l’être. La volonté d’introspection sonne un peu fausse et la lutte des classes semble caricaturale. L’enrobage soigné et le recours aux nombreux artifices techniques sont cependant un véritable tour de force, digne d’une superproduction théâtrale. Et c’était finalement plus agréable à voir qu’à écouter.
– Loïc Baruteu
Photos (c) Vincent Arbelet