Impetus vient du latin. Ce mot à deux significations ; soit le « mouvement en avant », soit la « charge militaire » lors d’une bataille. Depuis 2010, entre le Jura suisse et le Jura français, le Festival Impetus propose une programmation avant-gardiste, innovante et surtout d’une très grande qualité. Avec Laibach en tête d’affiche cette année.
On se souvient de la prestation hors du commun de Behemoth en 2014, au Moloco, ou encore de la création de Steffen O’Malley, membre fondateur de Sunn O))), au Fort du Mont Bart en 2012. Les credo du festival sont les musiques et les cultures divergentes. Métal, hip-hop, musiques électroniques, free jazz, performances, expériences culinaires, presque tout est possible à l’Impetus ; il faut juste être assez curieux pour se laisser surprendre… On s’y est rendu pour toi.
À la découverte de la sérigraphie
On arrive à 13h30 à Étupes, petit village florissant aux nombreuses zones industrielles et on galère un peu à trouver le Studio Sauvage où à lieu le premier événement de ce samedi 9 avril.
Finalement, on finit par trouver cet open space situé dans un grand entrepôt rouge et gris. Une vingtaine de personnes se sont rendus à l’atelier de découverte de la sérigraphie proposé par le festival. Plume et Barbee, les boss du lieux, nous accueillent dans une ambiance détendue. Plume est décoratrice d’intérieur. C’est elle qui a fait toute la décoration du Moloco en découpant des vinyles pour leur donner des formes d’insectes. Elle est aussi DJ. Elle se produira le soir même sous le nom de DJ Ona Chrysis. Barbee lui, est graphiste et illustrateur. Il nous fait rêver depuis 2011 avec les visuels du festival.
À l’occasion de cet atelier on apprend le principe de la sérigraphie avant de la pratiquer. Ouais, un festival où tu fais toi même ton t-shirt, c’est la classe !
Laibach sur scène
On est là pour l’ouverture des portes au Moloco, même si on passe par l’entrée des artistes. On croise Kem, le programmateur des Eurockéennes et du Festival Impetus, à qui on doit la venue de Laibach. Et puis on s’approche du bar : les tarifs sont cool, les bénévoles ont tous l’air d’être ravis. Alors que le public rentre, Black Sabbath s’est mis à tourner avant d’être vite remplacé par de la musique soviétique et des titres de Broadway des années 20 ; la sélection musicale de Laibach vient de commencer.
Le public est éclectique, on l’observe distraitement en comatant devant les performances de la Cartographie des Rêves, rediffusées sur les murs intérieurs et extérieurs du Moloco. Des mecs en combinaison blanche font des trucs bizarres avec leur corps et dessinent au marqueur d’étranges situations aux saveurs oniriques.
Bientôt 21h30 arrive. Le show commence pile à l’heure. Laibach est dans la place et te le fait clairement savoir. L’installation est impressionnante. Deux écrans en 4 par 3 tapissent le fond de scène. C’est avec une démarche martiale que les cinq artistes rentrent les uns après les autres sur scène. Le tout est très solennel . Un concert de Laibach, c’est une performance plus qu’une tranche d’amusement. Pendant deux heures, le groupe pose son ambiance, son environnement. La mise en scène vidéo, l’éclairage, la prestance de chaque membre est calibrée, millimétrée. Il y a quelque chose de majestueux, de dérangeant, de terriblement touchant et de provocant dans l’air.
Il est difficile de résumer deux heures d’émotions, de critique, d’humour noir, de cynisme et de subversion en quelques mots. Au bout d’un moment on a du mal à définir même ce que l’on voit. Les étiquettes musicales n’ont plus de raison d’être. Laibach dépasse tout cela. Bien que le groupe n’ait jamais expliqué ses démarches artistiques, on ressent qu’il est en colère contre les extrêmes, contre le libéralisme et le capitalisme. Il y a toujours cette ambiguïté du premier degré aux sonorités martiales évoquant les régimes totalitaires. En réfléchissant un tant soit peu, on se rend compte que tout cela est bouleversant parce que le groupe est en mesure de nous mettre en face de nos propres contradictions sociales et politiques. « In abscence of war we are questionning peace », « Europe is falling appart » ou « Barbarians are coming from the East… They are going to destroy our Disneylands » sont autant de paroles qui restent en tête durant ce concert.
Un deuxième intermède arrive. On apprécie les tarifs du bar du Moloco et on retourne dans la salle pour la troisième partie. La fin du set est plus axée sur les morceaux connus du groupe : « Francia », qui est une reprise de la Marseillaise brutale et violente, « Tanz Mit Laibach », qui invite le public à suivre le groupe dans sa subversion, et finalement le très attendu « Leben heisst leben », la reprise en allemand de « Life is Life ».
À peine le concert fini, DJ Ona Chrysis, qui a revêtu sa plus belle casquette, s’empare des platines. Poser du son après un tel concert est un exercice très difficile. Elle s’en sort avec une main de maître en nous menant dans son univers d’indus tinté de cold wave. On se dirige doucement vers la sortie après un dernier passage à la Cartographie des Rêves. On a un peu de mal à comprendre tout ce qu’il vient de se passer. C’est sûr, le Festival Impetus ne laisse pas indifférent. L’année prochaine, tu ne cherche pas à comprendre : tu y vas.
– Jérémie Barral
Photos : J.B.