Instruments complètement loufoques et sonorités uniques, robots musiciens et timbres musicaux hallucinants : voilà ce que nous promet l’énigmatique spectacle MOTUs ce soir au Consortium. Pour lever un peu le voile sur ce mystérieux concert, rencontre avec Pierre Bastien, mécanicien de la musique, et Emmanuelle Parrenin, artiste classée folk, qui ensemble forment un duo éclectique et interprètent leur composition : MOTUs.
Comment vous êtes-vous rencontrés ? Était-ce un “coup de foudre musical” entre vous ? E: Nous nous sommes rencontrés par l’intermédiaire d’un ami qui a eu le coup de foudre pour Pierre et pour moi. Il pensait que nos deux univers, aussi différents qu’ils puissent être, pouvaient s’enrichir l’un de l’autre. Ensuite nous sommes allés l’un chez l’autre et nous avons partagé sur l’instrumentation, nos recherches personnelles et leurs points communs.
On peut dire que c’est un coup arrangé ? P : “Un coup arrangé ?” on croirait que l’on va braquer une banque !
La collaboration se fait-elle sans anicroches ? Faites-vous des concessions lors de l’élaboration de vos morceaux ? P: On ne peut pas dire que l’on fasse des compromis, plutôt des adaptations. Simplement, le phénomène bizarre, c’est que l’on est “classifiés”. Souvent la première question que l’on nous pose c’est : “quel genre de musique vous faites ?”, mais nous les musiciens, on n’a pas grand chose à faire de ces distinguos. Dans l’esprit des autres, ça a l’air d’être le plus important. Donc on nous met des étiquettes : Emmanuelle est dite “folk” et moi “expérimental”. Mais quand on se rencontre, on se rend compte qu’on joue sur les mêmes codes, avec des aspirations très proches et que l’on se comprend avec le langage universel qu’est la musique. Effectivement, je ne sais pas si on pourrait en dire autant si Johnny Hallyday rencontrait Pierre Boulez, je pense qu’il y aurait des incompréhensions. Mais entre Emmanuelle et moi, non.
Vos prestations sont autant à voir qu’à entendre. Pourquoi choisir de donner une part si importante au visuel de vos performances ? E: Pierre a l’habitude de travailler de cette manière, et moi non. Cependant j’ai déjà souffert de musiciens qui ne font pas attention à ce qu’ils renvoient sur scène. Pour moi c’est naturel de rentrer dans un spectacle qui soit également visuel.
P: Et puis comme nous n’avons pas encore prévu de spectacle pour les malvoyants, autant avoir quelque chose à montrer.
Ce soir vous jouez au Consortium, un lieu unique à Dijon. Nerveux ? Vous avez l’habitude de vous produire dans des lieux similaires ? P et E: Nous ne sommes pas nerveux à l’idée de passer par ici ou par là.
P: On s’aperçoit rapidement que les institutions musicales peuvent être un peu sclérosées parfois, alors que les lieux plus axés arts visuels sont plus avant-gardistes et ouverts sur le futur. Donc quand on fait des propositions nouvelles en musique, on est souvent plus invités par des gens qui sont du côté des arts plastiques.
Cela a peut-être aussi à voir avec le fait que, par sa dimension visuelle, avec tous ces instruments et ces créations mécaniques musicales, votre collaboration est une œuvre d’art en elle-même ? P et E: Nous l’espérons en tous cas !
Donnez-nous quelques mots pour décrire l’univers musical de l’autre. P: Ce qui me plaît et me comble dans le jeu d’Emmanuelle, c’est d’abord la finesse de l’écoute, le feeling, sa manière de jouer le bon swing, et le bon groove. Elle a un bon sens du rythme, c’est ça qui me donne des ailes. De plus j’aime sa palette sonore, les timbres qu’elle travaille (le dulcimer, la vielle à roue, sa voix et sa harpe), ce qui est rare et donne un large champ de possibles.
E: C’est difficile. Je dirais que j’aime la musicalité et le grain de Pierre, car il va chercher d’autres sonorités et un climat très particulier dans lequel je découvre et j’aime plonger. Les machines qu’il crée m’emmènent dans un autre monde et cela m’a séduite dès la première fois. Ça m’ouvre et me force à entrer dans le côté technique qui me fait peur : c’est une possibilité de défi que j’aime à relever.
Et pour décrire l’univers que vous créez ensemble. P: Je pense que seul quelqu’un qui a vu notre spectacle peut répondre. Je vois cette création technique et pas sentimentale car je suis à l’intérieur d’elle. Je pense qu’on peut dire que c’est un peu un spectacle “total”, on fait danser les instruments et les images, on joue sur plusieurs niveaux. Raymond Quenaud décrit l’œuvre d’art comme un oignon que l’on peut peler indéfiniment pour en obtenir plein de facettes différentes. C’est ce qu’on essaye de faire quand on fait une œuvre, avoir plein de facettes.
E: C’est difficile car on a également les échos du public, on ne peut se projeter à l’envers du décor, je reste avec un point d’interrogation sur cette question.
P: Ce qu’on essaye de faire, c’est créer des surprises, des temps brefs et travaillés. L’ennui du spectateur est ma plus grande peur et nous travaillons vraiment là-dessus. Je pense que cette composition est le reflet de nos deux personnalités et ce qui nous uni : notre amour des sonorités du monde entier. Avec ma trompette arrangée de mille manières et nos palettes musicales respectives, on veut vraiment atteindre ces sons d’ailleurs. Cela se ressent, j’espère, dans nos concerts.
Votre duo est en fait un trio sur scène, avec les mains 5 et 6 qui apparaissent sur les écrans en “guest star” piano ou orgue. Est-ce pour créer une sorte d’équilibre entre vous deux ? P: C’est plutôt un quartet, il y a nous, ces mains et les machines également. On forme ensemble un orchestre. À deux, cela aurait été difficile. On apporte ces organistes et ces pianistes pour l’harmonie, des petits robots en mécano créent la rythmique et nous faisons les timbres, les bruits et la mélodie.
Encore quelques dates programmées avec le spectacle MOTUs. Avez-vous des projets, comme par exemple l’enregistrement d’un album ou une deuxième tournée pour votre duo ?
E: Au fur et à mesure des spectacles, on réajuste et on peaufine. Il est fort probable que l’on fasse un disque une fois que nous aurons tourné plus, et pourquoi pas un deuxième spectacle.
C’est la fin du monde, on vous propose de partir coloniser une autre planète pour échapper à la mort. Problème, vous ne pouvez emporter qu’un instrument : lequel ? E: Déjà j’ai ma voix qui est avec moi partout, pour m’accorder avec elle je prendrais une petite harpe.
P: Ne me posez pas la question, je crois que je me suiciderais sûrement !
Le mot de la fin : “Motus” ça vient d’où ? Avouez, vous êtes fans de Thierry Beccaro. Ou des mots croisés ? E: Ni l’un ni l’autre!
P: Il fallait trouver un titre. Je n’habite pas en France et je ne connais pas cette émission. “Motus” ça veut dire “mouvement”. En latin “motus perpetus” c’est le mouvement perpétuel, ce qui traduit bien ce que font les machines. Aussi, “motus” peut évoquer le mot, et nous avions dans l’idée de ne pas partir sur de la chanson à texte, même si finalement il y en a.
E: Motus et bouche cousue.
– Propos recueillis par Chloé Cloche
MOTUs, ce soir au Consortium (19h) dans le cadre de la saison Ici l’Onde.
Le truc en + : rendez-vous dès 18h30 pour une visite commentée gratuite des expositions du centre d’art, avant la représentation.