Oops !… They Did It Again… Comme les Rois Mages en Galilée, la neige sur les trottoirs de janvier ou la galette chez les boulangers, le festival de la pensée en mouvement revient à Dijon faire la peau aux tristesses hivernales. Retour tout à fait subjectif sur une selecta presque personnelle.
Depuis quelques semaines, nous attendions Art Danse en guettant l’étincelle et le tressaillements. La première semaine de l’édition 2015 semble livrer son obsession. Elle sera celle du couple revu façon quatuor. Chez Sparse, nous avons aimé ça. Tant pis pour la morale, ce n’est pas encore pour cette année.
Rabat-Joy
Lundi 19. Hervé Chaussard et The Will Corporation sont de retour sur le plateau de l’Atheneum pour leur dernière créa : Joy. On avait adoré au même endroit sa Boite Blanche, où les couples s’ébattaien t dans la délicatesse du talc et de la répétition mathématique de mouvements lascifs. Plastique, en revanche, nous avait carrément laissé aussi froids qu’un postier face à l’augmentation du prix du timbre. Chaussard y convoquait sa propre théorie d’un monde supra-physique, une esthétique des probabilités et des costumes de Kraftwerk. Pour danser la samba, on avait connu mieux. Joy, présenté en ouverture d’Art Danse 2015, est un peu le lien entre les deux spectacles. Un ode enjôleur (du moins sur le papier) de la répétition calculée doublé d’une quête absolue de transcendance façon baroque. Pour totem et ligne de fuite, Chaussard convoque la philo de Spinoza (pour un résumé, adressez vos demandes à M. Ratel chez nos confrères de Radio Campus, réponse rapide assurée). Le Teuton baroque y développe l’idée que pour atteindre la joie puis la béatitude, il vaut mieux danser d’abord sur du verre pilé. Pour poser la couronne sur la tête du roi (mage, forcément), Chaussard convoque le baroque de Bach. Sa Partita n°2 (BWV 1004) est jouée en live au plateau par Doriane Gable. Quatre danseurs versus une musicienne, la rencontre est jolie. On passera volontiers sur la structure hyper-compliquée des danses, la pudeur charnelle pas assez contournée, les remix électro approximatifs du morceau de Bach et la timidité excessive de l’élan chorégraphié pour avouer sans rougir que les paillettes du décor laissent rêveur, quelques mouvements donnent envie de mettre les pieds dans le plat et que la vraie belle idée reste avant tout les costumes sortis d’un bal baroque et florentin revisité. Ceux-ci sont abandonnés au fil de l’élévation des danseurs vers une joie qui aurait dû lorgner du côté de Monteverdi ou plus radicalement du Binchois qui a élevé l’art de la complainte au rang de quasi-blasphème sensuel et lettré. Ici, la lettre a laissé l’esprit sous les pattes un peu froide du postier de tout à l’heure. Dommage.
Rainbow Warriors
Mardi 20. On reçoit la première des deux grosses claques de la semaine. La Compagnie Affari Esteri faisait combattre Guerrieri e Amorosi. Ça tombe bien, c’est aussi le titre de leur création 2015, donnée ici pour la prem’s, sur le plateau du Théâtre Mansart. Je ne vous le ferais égalitariste : des deux danseurs, seule Aurore di Bianco m’a scotché. Yann Cardin a fait ce qu’il a pu dans l’ambiguité masculin/féminin qui est montée au plateau grâce à la choré du duo Edmond Russo/Shlomi Tuizer. Le corps du danseur s’est débattu dans un espace colonisé par sa partenaire, puissante, précise et lumineuse en diable. À croire que les guerriers du titre logeaient tous dans son épaule. Les Guerrieri justement sont ceux qui donnent aussi son titre au livre 8 des madrigaux de Monteverdi (encore lui), maitre italien du baroque et inventeur d’un paquet de formes musicales modernes. S’il devait fournir la première partition à ce spectacle, il a laissé la place au duo from New York, USA, Elysean Fields, à qui on a demandé une compo originale. C’est une sacré belle intuition puisqu’on évite la danse lettrée et référencée pour aller baguenauder dans la musique actuelle, s’approcher doucettement de la tentation du clip et de l’illustration élégiaque sans jamais en convenir ni y succomber. Malgré deux ou trois idées dramaturgiques un peu simples, la partie chorégraphiée par le duo Russo/Tuizer et dansée par Aurore di Bianco sur un tapis désespérément blanc et immaculé reste d’une beauté complexe, malicieuse et d’une de ces précisions terribles qui vous rendent entier au plaisir ou la douleur. La danse ici ne valide aucune hypothèse, ne cherche pas à prouver son érudition même si elle verse souvent dans la répétition formelle. Un des plus beaux moments de cette pièce est sans doute celui où le corps de la danseuse nous fait face, immobile, les mains ouvertes. Seul un léger battement de doigt nous montre la vie et les guerres d’amours à venir.
Ghostbusters
Jeudi 22. Retour à Mansart pour la plus violente des deux claques de la semaine. On se rend au théâtre en s’amusant à chantonner le titre de la pièce chorégraphiée par Franck Micheletti – Your Ghost Is Not Enough – sur l’air de Don’t Stop ‘Til You Get Enough. On s’arrêtera très vite, soufflé par une heure de danse célébrée par l’absence de mouvements inutiles, la présence de deux corps fauves au magnétisme contagieux et une partition électro mixée en live qui donne la tonalité à cette pièce : organique et instinctive. Kubilaï Khan Investigations va chercher ses danseurs aux coins du monde et deale avec les différences de cultures et de corporalité. Ici, les corps sont ceux de Sara Tan et de Idio Chichava. Ligne de route Afrique/Asie revue par la face jamais tranquille de La Vieille Europe. Les quatre mains musiciennes sont celles du taulier de la compagnie Franck Micheletti quadruplées par celles, rieuses, de Benoît Bottex. Le pitch reste assez semblable à la pièce vue mardi, un homme une femme, attraction/absence/on se retrouve/on fait l’amour. Classique mais vu ici avec la force de la grenade à main ou du poème en action. C’est indiscipliné, ça se permet de citer les positions (de danses) classiques, de montrer au quart de seconde l’explicite puis le métaphysique sans s’écouter discourir. Pas de performances affichées, pas de démonstrations superfétatoires, le propos est ailleurs. Toi qui regarde celui qui est regardé, tu finiras bien par danser avec lui un jour ou l’autre. Et ça fonctionne. Mickael Jackson a rangé ses grooves dans nos caboches et le souvenir de cette pièce sera celui d’une volupté martelée par les beats. Pas mieux pour finir une semaine.
– Badneighbour
Photos : Vincent Arbelet (Joy / Hervé Chaussard)