Deuxième partie de notre entretien avec Lionel « Fox » Magal. À l’occasion du week-end One + One, qui s’est tenu à la Ferronnerie le 15 juin dernier, on a eu la chance de taper la causette avec ce vieux briscard, musicien-cinéaste-homme de radio, bourlingueur insatiable, de passage à Dijon pour dédicacer son bouquin “Crium Delirium – The Psychedeklik Road Book”. Une heure d’échange arrosé d’un verre de blanc où il est question de l’underground des années 60/70, de sexe, du Dalaï-lama, de Bernard Kouchner, de Radio Nova et d’acid trip. Entretien psychédélique (partie 2/2).

Lionel Fox Magal

…Tu vivais de quoi ? De rien, je me débrouillais. Quand je suis parti de l’atelier, j’ai vendu des consignes de gaz. Tu sais, des bonbonnes, là. J’avais 40 francs, grâce à ce que j’avais vendu au rebouteux du quartier. On est parti avec la camionnette de mon frère, une ambulance Peugeot rehaussée, pour chercher un deuxième bus en Allemagne. J’ai mis les 40 francs dans ce premier plein. J’avais plus un rond. J’ai vécu sur la route en faisant un peu de sous de la location de l’atelier. J’ai du dépenser en deux ans environ 2.000 francs, en ayant eu des maisons dans le nord, à Goa en Inde. On vivait plutôt sexe drogue et rock’n’roll, à poil sous la lune dans les cocotiers. Je vivais de l’air du temps, je me nourrissais spirituellement surtout. On avait quand même les tipis, la cuisine… sur la route, c’était organisé.

Parle-nous de la hog farm.  La hog farm, c’était aussi un mouvement qui s’appelait « Earth Peoples Park ». C’était un grand mouvement idéologique de rachat des parcelles de la planète, pour la « libérer ». On faisait de la sensibilisation à l’environnement ou au recyclage auprès des jeunes. Et surtout on tentait de changer les mentalités des gens qu’on croisait. En fait, on avait un gros bouquin qu’on distribuait : The Last whole earth catalog, le catalogue des ressources planétaires. Bon, on a aussi tourné un film en 16mm sur la route avec la pellicule de la Warner Bros. Dont une partie est dans le DVD avec le bouquin que je sors.

Il parait que tu as rencontré Dieu aussi. Un jour, nous étions dans un champ militaire en Allemagne. Tu vas me demander comment ça se fait ? Hé bien comme il y avait des jeunes avec nous, dont les parents ou la famille était au Viet-Nam, on était en relation avec les bases américaines. Ils sont très organisés les Américains. Bref, on avait accès aux bases américaines pour se faire refaire les dents, ou pour la médecine, etc. Dans ce champ de l’armée américaine, on nous avait amené des petites caisses de lotions pour bébé. Mais il y avait aussi de l’acide liquide.

hog farm

Tu as donc testé ? J’ai inauguré une de ces bouteilles. Dans une nuit étoilée, en prenant une goutte magique autour d’un grand feu, avec de la musique, notre tipi, les bus peints. J’ai pris mon premier trip d’acide et je suis parti dans les flammes, dans l’espace et dans l’univers. Je suis monté, au dehors de mon corps, dans un voyage cosmique. Je me suis mélangé avec l’univers et les étoiles. Tout d’un coup, j’ai vu un grand flash blanc et je me suis dit « merde, c’est Dieu ! » En fait non Y’avait un mec derrière le flash blanc, avec une mitraillette, les tanks arrivaient sur moi, on entendait des explosions, il y avait des hélicoptères. Les mecs courraient dans tous les sens et nous disaient de dégager. Nous, on était à poil avec nos drapeaux à hurler « Faites la paix, peace & love ». On était défoncés.

C’était quoi ? C’était en fait les manœuvres de l’armée américaine en Allemagne. Il se trouve qu’on était au milieu du champ de manœuvre.

Tu as aussi organisé un festival de rock en Afghanistan. Sur la route, on arrive là-bas. Eux, ils nous reçoicent à chamaux, à cheval, avec des bagnoles. Des tribus avec des mitraillettes. On fait des feux la nuit, on organise des concerts, on joue tous ensemble.

Vous les initiez aux trips ? Pas trop, eux ils étaient déjà équipés avec leurs produits locaux. On fumait les pipes à eau.

Revenons à la France. Tu faisais quoi exactement à Radio Nova ? Hormis le voyage en Inde pour le magazine Actuel où je n’ai envoyé qu’une carte postale, j’ai travaillé longtemps après avec Jean-François Bizot (ndlr : co-fondateur de Radio Nova en 1981). Nous avons développé avec quelques autres camarades « le grand mix ». Nous dormions, nous mangions dans ce lieu où ne faisions de la diffusion radiophonique. Mais d’ailleurs le grand mix, c’était avec nos copines, sous la console. On diffusait en live ces grands moments de mélange de musique improbable. On mélangeait Oum Kalthoum, avec le chant des baleines ou avec le son des satellites. De la musique gnawa, de la musique minimaliste, Terry Riley, La Monte Young, avec lesquels on échangeait des partitions. On a développé cette approche de musique nouvelle, répétitive, avec Philip Glass. On a rencontré aussi pas mal d’intervenants à l’époque inconnus de la musique cosmique allemande. Voilà, c’était Radio Nova avec Jean-François Bizot. Radio Nova, ce n’est plus ce que c’était, mais on a eu la chance de faire cette radio constructive, évolutive, de diffuser encore une fois cette bonne vibration en 1981.

Ce que vous représentiez à l’époque, ce mouvement underground, il existe encore aujourd’hui ? Oui, il y a toujours un mouvement underground. Il se matérialise ici et maintenant, il est permanent, il n’est pas fondé sur les mêmes utopies que nous avions à l’époque. Nous, on sortait de 68 on avait une volonté de changer le monde, avec la bonne vibration. Aussi avec une conscience de l’autre, de l’être, une conscience positive. Cette route c’était une quête, c’était pas simplement de la défonce gratuite, c’était une volonté sociale, philosophique, spirituelle, politique et artistique. Faire prendre conscience aux gens de l’énergie qui les faisait vivre. On leur disait : « Franchissez les limites de l’espace et du temps, prenez conscience de l’énergie qui vous fait vivre ».

Tu voyages toujours autant ? Oui, récemment j’ai fait de la scénographie en Inde, un truc énorme avec du mapping. Et sinon avec la promotion du bouquin que je sors, je vais faire des concerts, des installations. On a remonté un Crium Delirium avec des jeunes musiciens. Sinon j’ai bossé avec le Mupop à Montluçon, le musée des Musiques Populaires de l’Agglomération Montluçonnaise. J’ai fait une installation qui a à voir avec le psychédélisme, avec des light show et des projections de film, des posters, des dessins, de la musique, du son dans des vitrines. On va développer très probablement une exposition autour du psychedeklik pour l’année prochaine.

C’est qui le personnage le plus dingue que tu aies rencontré ? Dieu. (rires) Non.. mais c’est une blague sans l’être finalement, car tout ça est tellement cosmique et universel. Plus sérieusement, j’ai peut-être retrouvé mon frère, réincarné. Grâce au Dalaï-lama qui m’a remis sur la piste de mon frère décédé en Inde. Quand j’ai montré l’image de mon frère au Dalai Lama, il m’a dit : « allez voir notre maitre des réincarnations ». J’y suis allé, dans l’Himalaya, je lui ai montré la photo, sous les conseils du Dalaï-lama. Il m’a fait : « Ah nous le connaissons bien votre frère, il fait partie de nos services, il est réincarné là ». Je suis donc allé chez les « Weather men », ceux qui prévoient le temps cosmique. Je suis arrivé dans leur monastère, c’était la nuit, ambiance grotte, Indiana Jones, avec des torches. Ils m’ont amené dans la grande salle où il y avait la cérémonie pour le départ du grand maître qui était mort. Quand je suis arrivé dans la salle, tous les gens présents avaient la gueule de mon frère…

 

– Propos recueillis par Pierre-Olivier Bobo
Crédit photo : Jean-Paul Margnac / flickr

“Crium Delirium – The Psychedeklik Road Book”
éditions Le mot et le reste – 156 pages, 29.00 €
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