Aujourd’hui, une bédé étrange. Pas tant par sa forme -le dessin est très grand public, le scénario est très simple- que par son tout. Je ne sais pas exactement quoi penser, je crois que je ne la trouve pas fantastique d’un point de vue graphique mais elle a un intérêt indéniable : elle nous replonge dans la vie d’un penseur américain pas si connu, Thoreau (quand on est super bilingue, il parait qu’on prononce Ssoreau).
Le livre de Dan et Le Roy, La Vie sublime – Thoreau, a l’incontestable avantage de proposer une vue d’ensemble de ce libertaire américain du XIXème (David Henry Thoreau est mort en 1862, né en 1817.) Alors j’ai bien lu la préface ou la postface, je sais qu’il y a débat mais pour moi Thoreau reste un libertaire.
Bref, quand on s’intéresse de près où de loin à la meilleure manière de faire tomber l’État, quand l’idée de révolution sociale a un sens pour vous, on connaît Thoreau, parce que le type a publié un petit manuel, bréviaire du révolutionnaire non marxiste, intitulé La Désobéissance civile. Y a une quinzaine d’année les éditions Mille et une nuits l’avaient sorti à 10 francs. Globalement, dans mes souvenirs le type disait « si tu veux pas plier aux ordres et injonctions d’une autorité, c’est assez simple, soit tu refuses d’obtempérer, bon, tu risques d’aller en prison, mais avec honneur, soit tu te barres et tu vis dans ta cabane au fond des bois, avec pas grand chose, mais toujours avec honneur ». Le tout soutenu par un profond pacifisme. En gros, t’agis, tu résistes, tu dénonces et au bout d’un moment l’autorité injuste finit par tomber. Et faut faire ça tout seul, hein, c’est pas un collectiviste. Faut pas attendre le mouvement du groupe pour se lancer. On s’y jette tout seul comme un grand.
Ayant très peu de goût pour la forêt et les prisons, sa désobéissance civile sera restée théorique pour moi. Mais, il faut reconnaître une vision « pré », « anté » (ça veux dire avant dans des vieilles langues) TAZ d’Hakim Bey, les fameuses zones autonomes temporaires et autres utopies concrètes redécouvertes dans les années 50/60.
Et si là si j’viens de vous perdre, dites-vous que José Bové et tous les démonteurs de Mc Do, les faucheurs volontaires et peut-être même ceux qui luttent du côté de Notre-Dame des Landes contre l’a-ayrault-port, se revendiquent de Thoreau. Plus gros, plus célébrés encore, Martin Luther King et Gandhi se poseront comme les suiveurs de sa pensée.
Vrai activiste ou gros pépère cossu, ce Thoreau ?
Ici, ce récit bio-graphique permet d’en savoir plus sur le bonhomme. Parce que c’est bien sympa de revendiquer ce genre de positions théoriques mais ça coûte pas cher. Qu’est-ce qu’il nous a fait le gars Thoreau durant sa vie ? Est-ce qu’il vivait comme un gros pépère cossu ? Est-ce que comme les anarchistes russes à la Bakounine, c’était un aristo en rupture ban ?
Thoreau était un prof, avec des idées assez neuves en matière d’éducation. Par exemple, il refusait les châtiments corporels comme outil pédagogique, alors que c’était la norme. Et après sa démission du système éducatif, il fonde sa propre école privée. Là encore, il propose des méthodes neuves comme des balades en forêts et l’observation de la nature, le ramassage de feuilles, la collecte d’insectes pour les étudier plus tard en classe. La nature, les arbres… c’était son truc. Après la fermeture de son école et après avoir repris quelques temps l’entreprise familiale de fabrication de crayons, notre Thoreau va construire sa maison dans les bois.
Pendant deux ans, il vit en autarcie, cultive ses patates, écrit sa poésie. Il va aussi se sensibiliser à la vie, aux coutumes des Indiens. Et puis, un jour, les impôts lui tombent dessus : 6 ans d’arriérés à payer. Et lui refuse, par parce qu’il n’a pas d’argent mais parce que l’abolitionniste qu’il est refuse de financer un état injuste, esclavagiste. Parce que lui le pacifiste refuse de financer la guerre contre le Mexique. Alors c’est la case prison. Une tante ou quelqu’un de sa famille payera pour le faire sortir.
Et tout le reste de sa vie sera à l’image de ces anecdotes. Aujourd’hui, et peut-être hier en fait, on appellerait Thoreau un emmerdeur. Un bon emmerdeur, un empêcheur de penser en rond. Le genre de type qui regarde le flic droit dans les yeux et qui lui dit « non, je refuse, embarquez-moi ».
Du coup, voilà l’intérêt de la bédé, et je crois que c’est ça l’intention des auteurs : nous faire redécouvrir cet activiste américain. On oublie le style, genre comment est-ce que tu écris ta bédé, quel style pour le dessin… et on ne garde que le fond. Alors dans ce cas là, ok d’accord, ce Thoreau est un bouquin réussi.
– Martial Ratel
La Vie sublime – Thoreau, Dan et Le Roy – Le Lombard, autour de 20 €
La chronique bédé est un partenariat avec Radio Dijon Campus.