Bulletin sociologique de la jeunesse dijonnaise par temps de brouillard.
En fait, on est un peu les Bourdieu de la hype dijonnaise chez Sparse. Toujours à l’affût des habitus de cet animal social qu’est le dijonnais de sortie. Dans cet esprit, on ne pouvait pas rater la plus belle fête marketo/populaire (j’entends par populaire : saoûlerie) de France (à égalité peut-être avec Halloween et la St Valentin). Je vous parle de la sortie de ce bon vieux Beaujolais nouveau.
On a tendance à se dire qu’entre Labomatique, le Consortium ou Room 38, ça va nous apporter une bouffée d’air frais. Ça faisait quelques années qu’on n’avait pas, volontairement j’entends, participer aux festivités du Beaujolbif. On convoque 2-3 potes ; souvent la même réponse : « Quoi ?! Le Beaujolais nouveau ?! Vous craquez les gars, c’est dégueulasse ! ».
Alors mettons nous d’accord. Ceci n’est pas une critique gastronomique ou culinaire. Oui, le Beaujolais nouveau, c’est dégueulasse. Oui, ça te bousille les lèvres et les neurones. Oui, ça diminue l’espérance de vie de tout le sud de la Bourgogne. Oui, boire ça, c’est comme boire du vin mais en mâchant un citron. Mais bon, la Kronenbourg que tu bois en pinte à longueur de soirée, c’est de la qualité ? Le Bacardi/Coca de ta soirée électro-pouffe au Chat Noir, c’est de la qualité ? Non.
On n’est pas partis pour boire du grand cru surcoté de la côte de Nuits. On ne se ment pas sur la marchandise. On y va pour être entre copains pour une belle fête populaire. Partager, c’est ça l’important, patati patata, la guerre c’est mal, tout ça, tout ça… On a quand même réussi à trouver 2-3 briscards attirés par le concept (au chômage bien entendu, tu ne te saoules pas en pleine semaine sans risquer ton lendemain matin de taf). On the road again ! (Bernard Lavilliers – 1988)
Un goût de banane ? cerise ? canard WC ?
On commence par l’Entracte. Rue Lamonnoye, à côté du Grand Théâtre. Petit bar des plus sympathiques. On le fréquente parce que le lieu est cosy, le patron cool, les prix abordables, les rhums arrangés mythiques. D’ailleurs depuis quelques temps, le patron les planque sous le comptoir et ne les sert qu’aux initiés : « Les p’tits jeunes, ils boivent ça, ils s’rendent pas compte, et après ils cassent tout dans mon bar ». Bon, l’Entracte c’est pas là qu’il faut aller si tu es parti pour séduire des gonzesses ; y’en a pas (ou peu). Disons que… c’est pas la priorité du patron et des habitués de l’établissement. On a surtout choisi l’Entracte pour démarrer parce qu’on sait que Didier offre le buffet campagnard pour le Beaujolais nouveau. Terrines, fromages, jambons crus, produits du cru. On se gave de victuailles (ventre plein = sécurité) ce qui commence à inquiéter le patron et les « loups du comptoir ». Vous savez, ces mecs posés en vigie au bout du zinc qui matent la foule avec des yeux bovins dans l’espoir de ramener un peu de chair fraîche à la maison. Ce qu’ils ne feront d’ailleurs pas, ou alors vraiment en fin de soirée s’ils arrivent à récupérer un gnou fatigué de fin de troupeau…Y’en a dans tous les rades. Place de la Rep’, d’ailleurs, y’a que ça. On retrouve à l’Entracte des vieux potes qui avait aussi le plan « buffet du Didier » pour les affranchis. On goûte enfin le nectar du soir. Didier te le sort d’un bag in box (habilement dissimulé dans un fût en chêne… le malin). Oulah ! Ça fait flipper. Attention, verdict ? Ah… ben sans surprise, il est crade à souhait. Ça nous rassure un peu. Il a un goût de je ne sais quoi (banane ? caramel ? cerise ? canard WC… ou juste de Beaujolais nouveau). On en reprend une 2ème bouteille pour être sûr… confirmation.
On a le ventre plein, on continue direction le Quentin. C’est pas loin, y’a buffet gratos aussi et Pierre Kaspar qui passe du son. De quoi se motiver. Il y a toute la fange mondaine… enfin, les potes… enfin, comme nous quoi. Pierre Kaspar ambiance avec des tracks disco. Buffet classieux. Les gens sont beaux et c’est propre. Le Quentin. On demande du Beaujolais nouveau, on lâche pas, on a un leitmotiv.
– « On en n’a pas, il est dégueulasse ».
« Et la Kronenbourg que tu bois en pintes… »
Mon collègue est un poil désappointé. On est proche du drame.
– « On du Beaujolais, mais pas nouveau, si vous voulez. C’est marqué sur la tableau ».
Ça a le mérite de nous faire rire. Moins ce qu’il y a marqué en dessous : la bouteille est à 40 euros… 40 euros mon pote ! Ou alors je ne sais plus lire. Je suis encore sous le choc.
C’est vrai que du VRAI Beaujolais, c’est pas mauvais. Un p’tit Morgon ou un Moulin à vent, c’est toujours agréable. C’est vrai aussi que les viticulteurs qui s’emmerdent à faire du produit de qualité dans le Beaujolais se font pourrir leur réputation par le coup marketing du Beaujolais nouveau, c’est vrai qu’on préfère défendre la viticulture raisonnée, mais pas à 40 euros mon gars. On prend une bière (on a une dignité quand même) et on se tire.
Direction rue Berbisey pour se frotter à cette masse qu’on appelle les jeunes.
Le Cappuccino. La valeur sûre. Bières de qualité, produits du terroir, personnel excellent (oui, c’est important). Si tu n’as pas peur d’écouter un peu de métal et de sentir le fromage en partant, c’est pas loin d’être le rade le plus agréable de Dijon. On descend la rue, y’a pas grand monde… qu’est-ce que c’est que ça ? Les gens ont arrêté de fêter le Beaujolais ou bien ? Ça nous décourage pas. Y’a pas grand monde sauf devant le Byron Bay. On ouvre là une parenthèse : vous connaissez le Byron Bay, anciennement Freestyle ? Qu’est-ce que ça fait la ??? C’est comme un village gaulois. Un bout de place de la République perdu rue Berbisey. De la chemise, du gel, des barmen qui jonglent avec des bouteilles comme Tom Cruise dans Cocktail, un videur, un coin fumeur délimité par des cordes sur le trottoir… Tout ça au milieu des chiens-loups. C’est comme un titre de Sardou placé dans une compil’ Reggae. Bref, fin de la parenthèse.
« Le Beaujolais, c’est le lendemain qu’il t’offre toutes ses richesses, aux chiottes » – un habitué
Arrivée au Cappuc’. Pas mal de monde. À l’intérieur, des loups de comptoirs et plein de jeunes filles. Musette en fond sonore. Bien sûr il a du Beaujolais nouveau. Enfin, du Beaujolais village nouveau… qualité blablabla… ouais bon… fait goûter… ah ok ! Il est dégueulasse comme l’autre. Très bien. Eh ben on va en reprendre une bouteille.
Notre voisin n’est pas d’accord avec notre jugement hâtif sur la qualité du produit.
– « Le Beaujolais, c’est le lendemain qu’il t’offre toutes ses richesses, aux chiottes »
Ça commence à être philo, on est dans le vrai. On en reprend une. Un mec prend une menthe à l’eau. On est à 2 doigts du lynchage. On commence à ne plus avoir de goût… la star de la soirée a tout annihilé. Il est temps de bouger. On est très proche de l’abandon dans le col, pour reprendre une métaphore cycliste. Encouragement du coach. Regain de motivation.
On passe à l’Univers, personne, on dirait un lundi soir. On traverse la place Émile Zola,
Prochaine étape, l’Assommoir. Bar en long, y’a du monde. Plein de petits jeunes aussi. Dont des mecs avec des casquettes à l’envers (?). Alors soit c’est des mecs qu’on a cryogenisés (cf. Demolition Man – Stallone, Wesley Snipes) en 1993 et qu’on vient de réveiller, soit c’est des Anglais, soit des Americains. Ils ne veulent pas se battre, ils ne sont pas anglais. Ils ont des runnings… ok, ils sont Ricains. Il y a plein de petites Américaines (je conseille l’endroit à tous les jeunes mâles dijonnais). Folklore local, ils découvrent le Beaujolais nouveau ce soir. Ils sont déjà à la bière, ils ont du aimer le pinard.
Ça ne nous refroidit pas. On en prend une. Il est aussi infâme qu’ailleurs mais beaucoup moins cher. On en reprend une. On fait le taf pour Sparse quoi ! C’est pas facile le journalisme. Les petits jeunes commencent à s’emporter. La tenancière, dans le style inimitable qui la caractérise, leur fait comprendre très vite qui est la taulière. On veut sortir fumer une clope. Non. Interdit de sortir avec les verres. Nouveau décret anti-ivresse. Tu bois si tu veux, mais tu te caches à l’intérieur. Négociation. Fin de non recevoir. Ok c’est toi la taulière. On bouge, un jeune vomit dans un coin de la place. Enfin. À peine arrivé, le Beaujolais nouveau est déjà reparti.
Ça commence à sentir la fin. On tient plus le choc. On titube… et je me rappelle plus… je regarderai les bandes de vidéosurveillance de la ville. Réveil compliqué. Goût de mort dans la bouche. Doliprane. Impression qu’on était 15 en tout et pour tout à fêter le Beaujolais dans la ville. Les traditions se perdent. On se voit pour la Saint-Vincent tournante, cette année c’est à Dijon entre autres le 28 janvier. Celle là, ils nous la prendront pas.
Chablis Winston